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Notre Dame de Bétharram
On l’appelait jadis la « dévote chapelle »

Avant d'entrer, regardons attentivement la façade de la chapelle du pèlerinage: nous y décelons déjà une intention. Quatre grandes statues en mabre de Louvie-Soubiron représentent, sous l'aspect de quatre robustes paysans, les quatre évangélistes escortés de leurs emblèmes. Au centre, la Vierge Marie, dont les pieds écrasent le serpent infernal. Sur son bras, l'Enfant, qui lève vers le visage de la mère sa petite main en un geste délicieux de tendresse. Nous sommes prévenus: nous trouverons à l'intérieur l'annonce de la Parole de Dieu, et l'histoire de notre Salut.

L’église d'un peuple avide d’instruction

La construction de notre sanctuaire au milieu du XVIIe siècle n’avait rien d’un monument d’art, importé en Béarn par des architectes de renom. C'est l'église du peuple, construite par tout un peuple et pour l'usage du peuple. Sa décoration se recommandera plus tard de la même inspiration. Après avoir élevé un toit au-dessus des ruines laissées par les guerres de religion, il fallait faire entendre la Parole de Dieu au peuple ignorant, qui ne savait pas lire ; il fallait lui mettre sous les yeux une Bible abondamment illustrée, des statues, des images qui parlent, des scènes de l’Évangile. Dans ce but, les chapelains firent appel, vers 1690, au peintre Bernard Denis (1652-1722), et au décorateur Jean Casassus (1679-1776), qui se fixèrent l’un et l’autre à Bétharram.

Comprenons les gens simples qui fréquentèrent les premiers notre sanctuaire: ils étaient éblouis par les fleurs et les fruits d'or qui ruisselaient des retables, des murs et des encadrements ; étrangers au chatoiement des couleurs et des richesses, ils rendaient spontanément gloire à Dieu et honneur à Marie. Mais n’était-ce pas le but cherché par les chapelains animateurs du pèlerinage ? le visiteur d’aujourd’hui, intelligent et cultivé, rejoindra sans peine la pensée des constructeurs et des décorateurs du XVIIe siècle.

La création, première page de la Bible

Pour lire notre Bible dès la première page, avançons dans la nef centrale : au-dessus de notre tête, le ciel bleu où processionnent les étoiles avec « le soleil pour présider au jour et la lune pour présider à la nuit ». Les murs épais et les lourds piliers qui étouffent les bruits, des fenêtres hautes, avares de lumière, créent comme le silence et le recueillement de Dieu dans son éternité.
Approchons de l'autel. Le retable monumental, sans doute l’œuvre du sculpteur Jean Bruneleau (1636-1742), commencé en 1696, livre ses richesses quand on le regarde attentivement, comme on feuillette une Bible. Si jamais nous cherchions l'intention qui a guidé les décorateurs, regardons le bas-relief du sommet : deux anges appuyés à la voûte semblent sortir du ciel pour faire escorte au Père Créateur ; celui-ci ouvre les bras et cerne l’espace où explose la Création. Un peu plus grand, l'Esprit plane et féconde la terre.

Le même sujet d'ornementation est traité dans le bas-relief de droite : après le soleil, la lune, le globe terrestre et les fleurs, l'artiste a sculpté une coupe ; elle représente les océans, ce vaste creux où Dieu rassembla les eaux. Le Père Créateur figure encore sur la porte du tabernacle.

Dans notre chapelle, la nature et la vie sont représentées avec luxuriance. Un oeil attentif distingue facilement le long des colonnes torses, à travers les corniches, les encadrements des tableaux, une profusion inouïe de plantes et de feuillages, de tresses, de guirlandes et de couronnes, des fleurs, des fruits, d'énormes grappes de raisin, des cornes d'abondance, des cariatides joufflues au corps perdu dans un monceau de fleurs.

Que peut représenter ce luxe d'ornements, sinon l'infinie richesse de Dieu ? Oiseaux divers attablés sur les pampres, reptiles sur les troncs, tant dans le nouveau retable que sur l'ancien, c'est la nature vivante. À la parole de Dieu, tout s'anime.

Notre émerveillement croît avec l'attention. Qui ne serait frappé de cette multitude d'angelots, ou de têtes d'anges, sculptés ? On en voit partout, on a vite fait d'en compter plus de cent. Ils sont lâchés comme une volée d'oiseaux à travers les colonnes et les encadrements. On les voit grimper aux branches, jouer, s'appeler, vous tourner le dos avec impertinence. Rien ne saurait mieux peindre une sarabande d'enfants en vacances. Certains se poursuivent autour des tableaux, d'autres se prélassent, prenant les guirlandes pour des hamacs. Tout cela nous donne une impression de vie, de joie, de paix et de bonheur. Par delà la nature morte, ne serait-ce pas l'autre univers, le monde innombrable des âmes et des esprits, la face cachée de Dieu, la Beauté insondable, que les artistes ont voulu représenter ? C'est comme une fenêtre ouverte sur la Jérusalem céleste.

L'histoire de l’Homme-Dieu

Un « touriste » peut admirer les bas-reliefs et les colonnes, les corniches et les cariatides, où s’harmonisent les ors, les bleus, et les rouges, reflet du grand siècle de Louis XIV. Mais tout cela n'est que le support matériel d'une Parole. Car la profusion de la décoration, le choix des peintures, l'ordonnance des figures, sont d'une qualité telle qu'il serait difficile de ne pas y voir une intention, un schéma d'instruction, une Bible ouverte aux pages capitales.

Il est d'abord remarquable que les peintres du XVIIe siècle aient mis en évidence la lignée humaine, d'où le Christ est issu. Sous la tribune de l'orgue sont représentés, en médaillons, les ancêtres du Christ, selon la généalogie de saint Matthieu, depuis Abraham jusqu'à Jésus. Il semble que l'artiste ait copié, et plus ou moins modifié, avec couronnes et turbans, des portraits de personnages des XVIe et XVIIe siècles. Ainsi, on peut se demander si Jéchonias n'a pas emprunté les traits d'Henri IV ; et Jésus, ceux de Louis XIV.

Ce qui attire le regard, après la statue de la Vierge, ce sont les représentants de la proche famille de Marie de Nazareth : sainte Anne, reconnaissable à son livre , ouvert, et saint Joachim, d'une part ; Élisabeth, sa cousine, et Zacharie, d'autre part. Ces quatre dernières statues, monumentales, sont à première vue démesurées. Elles symbolisent mieux ainsi, aux yeux du peuple fidèle, la profonde insertion humaine de Jésus, Homme-Dieu. Remarquons encore qu'elles sont encadrées de grandes urnes d'où s'échappent des flammes rouges. Nous y verrions la puissance de la Vie, chef-d’œuvre de la Création. Entre les patriarches et la famille de Nazareth, on peut imaginer toute l'histoire de l'humanité, jusqu'à Jésus, né de la Vierge Marie : l'humanité en attente du Messie.

Nos regards se portent alors vers le centre du retable. Voilà, enfin, le chef-d’œuvre, le plus beau fruit que l'humanité ait jamais produit ; là se trouve la nature humaine, désormais restituée dans sa pureté originelle, la Vierge Marie. Nous ne nous étonnons pas alors que le mur gauche du chœur porte un bas-relief, richement orné de banderoles et d'oiseaux, où s'inscrit le seul monogramme de Marie. Ce bas-relief est le pendant de celui de la Création qui lui fait face. Marie n'est-elle pas la nouvelle Ève, la nouvelle création, la nature restaurée par la grâce ?

L'histoire de notre salut

Cette dernière ornementation commence à nous élever au-dessus d'une sorte d'histoire naturelle. Pour si magnifiquement illustrée qu'elle soit, celle-ci est dominée, presque écrasée, par les représentations de l'histoire de notre Salut. Les grands tableaux qui recouvrent les murs de la nef centrale, et dont la richesse d'encadrement croît en approchant de l'autel, nous font revivre les événements majeurs de l'histoire du Christ. Dans le chœur d'abord, deux scènes de la vie cachée du Seigneur la Naissance et la première révélation aux bergers puis l'adoration des mages ; le massacre des enfants de Bethléem (copie de Rubens), la Présentation au Temple, la fuite en Égypte. De l'autre côté, quelques scènes de la vie publique du Christ : Jésus au milieu des Docteurs, Jésus aux noces de Cana, Jésus au Jourdain recevant le baptême de Jean-Baptiste (copie de Poussin).

Ces tableaux n'ont pas d'autre but que de nous aider à ne jamais perdre de vue que le Fils de Dieu est devenu un homme parmi les hommes, pour vivre la vie des hommes. Il y a d'autres peintures sous la tribune et dans les bas-côtés qui nous rappellent des scènes de l'Évangile : rencontre avec la pécheresse, résurrection de Lazare, lavement des pieds des apôtres.

Dans notre chapelle, une autre galerie de personnages est malheureusement moins remarquée, en dépit de son importance dans l'histoire du Salut ; peintures un peu défraîchies et vues à contre jour. Elles sont appliquées tout en haut de la nef centrale, entre les vitraux. Elles représentent les Apôtres et les Évangélistes, avec leurs emblèmes distinctifs de l'imagerie ancienne : rien n'y manque, ni la clef et le coq de Pierre, ni le bourdon de pèlerin et les coquilles de Jacques ; ni la pique de Matthieu ; ou la scie de Simon, la massue de Jude, et la hache de Matthias.

Au temps de la décoration de la chapelle, des ouvriers et des chapelains se souvenaient sans doute encore des guerres de religion, apaisées très tard en Béarn. L'instruction des fidèles en avait beaucoup souffert. Aussi les chapelains s'empressèrent-ils de renouer avec la tradition ; ils se souvinrent que les églises sont la Bible des pauvres. L'abondante décoration de notre chapelle, le nombre et le choix des peintures, leur ordonnance (beaucoup ont disparu après la fermeture de 1794), trouvent ainsi une explication.On ne peut s'empêcher d'admirer cette longue évocation de scènes évangéliques qui dirigent notre contemplation vers le tabernacle. Ce dernier était, jusqu'au XIXe siècle, plus monumental, plus en harmonie avec le retable. C'est bien là que palpite le cœur de notre Rédemption.

La Vierge, au centre du retable, ferme, comme une clef de voûte, les doubles rangées de tableaux et de peintures. Mais n'est-elle pas à l'origine de l'Église, la Mère et le modèle ? Celle qui était au Cénacle le soutien des Apôtres, reste l'animatrice de tous ceux qui ont pour devoir d'annoncer la Bonne Nouvelle.

La mère de l'Église

On se doutait bien, que si elle trône si haut, si près de son Fils, si elle attire les premiers regards, c'est parce qu'elle est le modèle du chrétien racheté. Cette place au centre de la nouvelle création est bien celle qui convient à Marie. Personne ne peut, mieux que l'immaculée, représenter l'homme restauré, la nature recréée. La science mariale des théologiens du XVIIe siècle et l’œuvre des chapelains témoignent d'une foi purifiée dans les luttes religieuses, une foi ardente comme la foi des néophytes. Ils voulurent faire de leur chapelle un monument de la Foi, une Bible vivante, qui montrait Marie à sa vraie place, et insufflait aux fidèles une saine piété.

Aussi, serait-il injuste de ne voir, dans notre Sanctuaire, qu'une juxtaposition d'objets d'art. Il est beaucoup mieux qu'un musée d'art religieux, il est une Bible illustrée, que nous avons feuilletée rapidement. Il est un témoin vivant et permanent de notre foi.

D'après Raymond Descomps

 
 
Notre Dame de Bétharram - Vierge à l'enfant d'Alexandre Renoir · © stockli
La nef de Notre Dame de Bétharram · © stockli La Chaire de Notre Dame de Bétharram · © stockli
Bas-côté gauche de Notre Dame de Bétharram · © stockli Bas-côté droit de Notre Dame de Bétharram · © stockli
L'entrée de Notre Dame de Bétharram · © stockli Notre Dame de Bétharram - Fontaine Saint Roch · © stockli
   
     
   
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